Brok, Chnok, le Shépiok, Pil et Glou, Gribouille, les petites
voitures... Ariette Dugas à collaboré avec Denis Dugas
pendant
de nombreuses années pour les programmes jeunesses produit
par Christophe Izard
Rencontre avec une artiste au talents multiples
Vous êtes peintre, marionnettiste, aujourd'hui écrivain,
ce sont des métiers liés à l'art.
Quelles sont les circonstances qui vous ont amenées à
rentrer dans le milieu artistique?
Depuis toute petite, environ 7-8 ans, je dessine, je lis, j'écris.
Cela m'a apporté la part d'oxygène, de culture et de
rêve dont j'avais besoin pour grandir.
Car, entre ma naissance sous les bombes et ses suites (père
blessé dans le maquis et ne pouvant plus exercer son métier
de médecin de campagne),
j'ai eu une enfance chaotique avec de fréquents changements
d'école, d'habitation, voire de pays.
Parfois j'habitais dans une belle villa, parfois dans une pension
de famille ou à l'hôtel, parfois dans un sombre sous-sol.
J'étais souvent seule. Les trois mois de vacances l'été
me semblaient toujours interminables.
Dans ce temps-là, ni télé, ni jeux vidéos,
pratiquement pas de jouets et interdiction d'aller en colonie de vacances.
Après le bac, j'ai annoncé à mes parents que
je voulais entrer aux Beaux-Arts de Paris.
Ils n'étaient pas d'accord et voulaient que j'aie une "
vraie " situation.
J'ai persévéré. J'étais pionne pour gagner
de quoi vivre et je dessinais sans arrêt.
J'ai réussi le concours d'entrée. Voilà comment
ma vie d'artiste a commencé.
Quelles circonstances vous ont amenée à collaborer
avec Christophe Izard ?
Il est venu à l'un de nos spectacles " Le petit Albert
" (je crois, car j'ai la mémoire qui flanche
).
Ensuite, à l'occasion de l'émission " Les Visiteurs
du Mercredi " dont il était le producteur.
Quelle création engendra vos premiers droits d'auteur ?
" Les contes du père Dodo ", c'était en 1971.
Une émission d'Armand Jammot.
Le père Dodo se rendait chez un enfant tiré au sort
et lui lisait une belle histoire.
Le concept était poétique, amusant, peu coûteux,
et toute la famille était ravie de passer à la télévision.
Dans le programme jeunesse Brok et Chnok diffusé dans
" les visiteurs du mercredi "
quel personnage interprétiez-vous ?
J'étais le bras de Brok (!) et le Shépiok. Un animal
étrange qui parlait un sabir que j'avais inventé.
Mais mon rôle ne se limitait pas à la seule animation
de marionnettes.
Étant familiarisée avec tout ce qui est graphique et
manuel,
je participais à la fabrication des marionnettes.
J'ai même fabriqué des costumes pour nos différents
spectacles.
Voilà comment cela se passait : Denis Dugas dessinait les
personnages, puis sculptait les maquettes en plâtre ou en pâte
à modeler
ensuite il traçait les patrons, et bien sûr se joignait
aux " petites mains ", pour couper, sculpter, poncer, évider,
coller, etc.
Mais c'est lui qui s'occupait de la précision des regards,
la mise au point des mécanismes intérieurs,
des diverses textures, revêtements et peintures.
Avez-vous des anecdotes sur cette période ?
Il y a pas mal d'anecdotes et de scènes un peu surréalistes
à raconter,
par exemple, lorsque nous répétions à sept heures
du matin dans le jardin.
Comme les marionnettes géantes étaient en mousse, il
ne fallait pas les mouiller
et je séchais les arbustes, herbes et buissons avec un sèche
- cheveux
Pour les tournées, nous avions un J7 plutôt branlant
qui tombait en panne régulièrement.
Ce qui ajoutait du suspense au trac d'avant spectacle
Avec nos marionnettes géantes, nous faisions des animations
de rues où de lieux particuliers
et c'est la réaction du public qui m'a le plus surprise.
Je me souviens qu'à Orly, une centaine d'enfants surexcités
ont tenté de me lyncher à coups de pieds
et à coups de poings car ils voulaient voir s'il y avait quelque
chose dans la marionnette géante ou si c'était creux
!.
Une autre fois, c'était devant le Drugstore Opéra, ce
sont des " jeunes " qui voulaient nous taper dessus avec
des barres de fer.
Pour rigoler bien sûr. Lors des parades, les parents s'y mettaient
aussi encourageant leurs enfants :
" Allez, tire lui la queue
, Tire lui les oreilles
Tape - lui sur le derrière ". Depuis, la foule me terrifie.
C'est connu, " les gens heureux n'ont pas d'histoire ".
Ce qui roule tout seul ne laisse pas d'empreinte,
c'est pourquoi je me souviens plutôt des choses loufoques ou
difficiles.
Les loges, par exemple, étaient trop petites pour nos personnages
et il fallait se déshabiller n'importe où.
Parfois en plein air, l'hiver c'était très moyen.
Nous n'avions jamais assez de temps pour les réglages.
On déboulait dans une salle et vogue la galère, les
éclairages sautaient, le son sifflait,
bref les aléas de la technique apportaient souvent stupeur,
fous rires et sueurs froides.
Mes meilleurs souvenirs étaient alors après le spectacle,
lorsque nous dînions tous ensemble.
Surtout en province où la cuisine était copieuse et
délicieuse.
J'ai de très bons souvenirs des émissions des Carpentier
où nos petits extra-terrestres (ou d'autres marionnettes) étaient
invités.
C'était une ambiance magique. Sauf l'histoire des loges. Lorsque
nous étions sur le plateau, des bandes organisées
prenaient les clés dans les sacs à mains pour dévaliser
les appartements des artistes.
Personnellement on m'a volé un bel appareil de photo et de
l'argent.
Depuis, j'ai des " clic-clac ", mes photos ne sont pas terribles
et c'est très bien comme ça.
Maintenant je suppose que ce genre de choses n'existe plus attendu
que toutes les entrées des télévisions sont bien
gardées.
Et ce qui n'existe plus non plus ce sont des émissions aussi
créatives que l'étaient celles des Carpentier.
Comment se déroulaient les conditions de tournage de Brok
et Chnok ?
Cela se passait bien en général. Certains réalisateurs
étaient plus créatifs
et perfectionnistes que d'autres et alors c'était encore mieux.
Comment se prépare-t'on à rentrer dans un personnage
telle qu'une marionnette ?
Si vous parlez des marionnettes géantes de notre compagnie
les " Pantosh's ",
il fallait surtout une bonne forme physique, de la souplesse, de l'imagination
et de l'endurance
!
Mais c'est valable aussi pour les autres marionnettes.
Plus on travaille un personnage, plus on est capable de lui donner
vie, plus on prend du plaisir à l'animer.
Combien de temps ont duré les tournages de Brok et Chnok
?
Plusieurs années mais je ne me souviens plus du nombre exact.
J'ai regretté que cela s'arrête.
D'une part, j'aimais beaucoup mon travail et de l'autre, nous pensions
faire uvre utile.
Nous étions les premiers à sensibiliser le public jeunesse
à l'écologie.
À pousser un coup de gueule humoristique en faveur de l'écologie
et contre les pollueurs.
À la suite de Brok et Chnok, qu'avez-vous interprété
comme personnage dans les programmes jeunesse ?
" Pile et Glou " un couple d'extra-terrestres. Mais c'était
un couple cette fois.
J'étais Pile. Et j'étais Brutus, leur dinosaure de compagnie.
Denis Dugas était Glou.
Il créait également les décors de la série.
Après nous avons fait " Gribouille ", " Les
petites voitures ".
Et ensuite, ce fut terminé pour nous, mais j'ai oublié
pourquoi.
Je suppose que travailler sur des programmes jeunesses, et d'autant
plus sur des marionnettes,
cela se déroule en travail d'équipe ?
Comment était l'ambiance à cette époque ?
Comme aujourd'hui ! S'il y a une chose qui ne change pas depuis que
le monde est monde c'est bien le comportement humain.
Qui va du très humain à l'inhumain
Que vous soyez sur un bateau, dans un bureau où avec une équipe
de tournage,
vous trouverez toujours les mêmes profils psychologiques.
Des personnes formidables et des emmerdeurs patents.
Donc, dans les années 70, cela se passait comme maintenant
avec son lot de camaraderie,
de bonheurs intenses, de stress, de déceptions et
de
peaux de bananes.
Les manipulations de Brok et Chnok et du Shépiok étaient-elles
aisées ?
Le Shépiok était facile car c'était une marionnette
à tige que j'animais seule.
Pour les autres rien n'était vraiment aisé car il fallait
se contorsionner en duo sans se gêner l'un l'autre (on anime
à deux)
ni se gêner les uns les autres quand plusieurs marionnettes
étaient en scène.
Notre travail de marionnettiste tenait du comédien, du danseur,
du mime, du prestidigitateur
et du ventriloque car nous faisions aussi les voix de nos personnages.
Auriez-vous des anecdotes rigolotes, insolites de tournage ?
Je me souviens du direct qui était plus stressant pour moi
car j'avais le trac.
Durant le générique et jusqu'au moment où c'était
à nous, j'espérais que l'immeuble allait exploser ou
que j'allais tomber raide.
Mais ensuite, dans le feu de l'action, on surmonte tout et au contraire,
cela devient un plaisir.
Je me souviens des rencontres, lors des répétitions.
À cette époque, on invitait des personnalités
remarquables pour s'adresser aux enfants.
Ce fut une chance de pouvoir parler avec Jacques Trémolin,
Paul-Emile Victor, René Dumont.
.
C'était aussi les débuts de Patrick Sabatier, Alain
Bougrain du Bourg, Dorothée et beaucoup d'autres.
Je me souviens que c'était souvent le bazar entre la "
Déco " et les " Accessoires ".
Nous devions trouver des solutions de dernière minute pour
pallier à pas mal d'imprévus.
Étant petite et devant être à la hauteur de Denis
Dugas pour faire " le bras " de Brok,
j'avais besoin d'un cube. Je me souviens de " la course au cube
" souvent introuvable.
À cette époque, à la télé, les
tâches étaient très cloisonnées, il fallait
que ce soit le spécialiste " es cubes " qui l'apporte,
mais fallait-il encore mettre la main dessus
Et puis les lumières. Comme on travaillait sur fond bleu, la
mise au point durait un certain temps.
On crevait de chaud avec nos marionnettes et en plus les bras en l'air
et tout le bazar, on était flapie avant de commencer à
tourner.
Mais le plus insolite c'était la maquilleuse ! Elle s'ennuyait
ferme la pauvre attendu que nous portions tous des cagoules
Avez-vous collaboré à l'écriture des sketches
?
Oui, très régulièrement.
D'une manière générale quel regard portiez-
vous sur la télé de l'époque?
Vous allez rire : aucun regard ! Je vivais les choses comme elles
venaient sans avoir le temps de les analyser.
J'étais totalement accaparée par l'urgence.
Vie d'artiste et de mère de famille oblige, j'étais
sur le pont, 7 jours sur 7.
Comme je secondais mon mari, Denis Dugas, j'étais tout à
la fois assistante, intendante, cuisinière, secrétaire,
petite main, marionnettiste, écrivain, etc.
J'ai même le souvenir que, parfois, lors des " charrettes
" de nuit, je me couchais à même le sol et je dormais
un quart d'heure.
Le manque de sommeil, c'est ce que j'ai trouvé de plus difficile
durant ses années.
Surtout avec des enfants en bas âge. Le plus agréable
pour moi, c'était le travail en équipe.
C'est pourquoi il m'est arrivé d'écrire des livres en
duo tellement j'en avais assez de rester tout le temps toute seule
derrière mon ordinateur.
Et aujourd'hui, comment trouvez vous les programmes d'une manière
générale,
et en particulier les programmes jeunesses à la télévision?
Comme toutes les personnes de ma génération, je trouve
dommage que la télé réalité remplace la
créativité.
Tout cet étalage émotionnel, impudique et un brin hystérique,
ne peut remplacer une oeuvre artistique.
J'aimerais voir plus de créations originales. Et de qualité.
Pas ces programmes tournés au kilomètre dans l'urgence
et où tout est bâclé.
Je n'aime pas non plus le trop plein d'émissions nostalgie.
Les mêmes bêtisiers. Les mêmes invités.
Quant aux programmes jeunesse, ils manquent également d'innovation
et de fond. Mais j'aime bien certains films d'animation.
Quel parcours avez-vous suivi après votre collaboration
aux programmes jeunesse de Christophe Izard ?
Après la télévision, j'ai repris des études
(psychologie et graphologie), passé des diplômes.
Parallèlement j'ai fait de la peinture. J'ai exposé.
J'ai écrit des livres.
Fait des traductions de Néerlandais. Était directrice
de collection.
Enseigné la graphologie. Fait des émissions de radio
et de télévision.
Écrit de nombreux portraits graphologiques pour la presse.
Des portraits de célébrités surtout, et des politiques.
Ainsi que des psycho-tests pour la presse féminine. Et toujours
des spectacles jeunesse, des bibles pour films d'animation.
J'ai animé (et j'anime encore) des ateliers d'écriture.
(Formation à " l'Aleph " avec Alain André.)
Ce cheminement semble un peu étrange, mais en réalité
tout se tient.
Qu'il s'agisse de peinture, d'écriture de graphologie, tout
tourne autour de" la trace".
Les choses s'enchaînaient (parfois se déchaînaient)
en toute logique.
Une chose en entraînant une autre.
Comme tous les artistes, j'ai eu des traversées du désert,
sans travail,
sans ressources et des moments de pointe où ça tombait
de tous les côtés.
Ce fut une vie en Montagnes Russes. Et ça continue
Quels sont vos projets ?
Continuer l'animation d'ateliers d'écriture bien sûr.
Et puis, écrire, écrire, écrire : romans, polars,
livres jeunesse, spectacles.
Et la peinture ?
Faute de place et de moyens, j'ai momentanément renoncé
à la peinture.
Mais si un jour, l'un de mes livres devient un Best seller, je pourrai
m'y remettre
qui sait
?
Que diriez-vous pour conclure ?
Tout d'abord merci. Merci pour cette interview et l'intérêt
que vous portez aux " Visiteurs du mercredi ".
Et si je peux formuler un souhait, j'aimerais que Brok et Chnok
soient diffusés à nouveau car l'urgence écologique
est toujours là.
Le contenu de cette interview appartient
exclusivement à son auteur !
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Juin 2007