Les Poi-Poi


C'était en septembre 1979. Christophe Izard créait une nouvelle série de marionnettes
pour la rubrique " 10-15 ans " des visiteurs du mercredi.
Les vedettes de ce programme truculent était les illustrissimes Sibor et Bora
(Boris et Monique Scheigam, pour les intimes)
assistés par trois de leurs collègues extra-terriens aux allures un peu simiesques :
Monsieur Poï, Mademoiselle Poï Poï et Monsieur Poï Poï Poï.
(J'ignore si ces trois zigotos étaient frères et sœurs,
mais si c'est le cas, leurs parents avaient vraiment de la suite dans les idées.)

Le célèbre marionnettiste Alain Duverne prêtait sa voix rauque à Poï, tandis que Poï Poï Poï
blondinet au timbre plus clair était animé par Patrice Lupovici.
Quant à la jolie Poï Poï, très mignonne avec ses tresses pendantes
elle avait chipé sans vergogne la voix d'Evelyne Horenfeld.

Les deux premiers épisodes de la série avaient pour thème
un grand jeu télévisé intergalactique entre terriens et extra-terrestres.
La planète Kallatus était représentée par Bora, aidée des trois Poï Poï
face à elle, dans l'équipe terrienne, le professeur Bouchon (Yves Brunier)
aidé, comme il se doit, de son factotum Tiburce (Bernard Thomas).
Sibor était l'arbitre de cette compétition cérébrale ; un arbitre dont l'évidente partialité avantageait systématiquement Bora
tandis que le pauvre professeur Bouchon était bafoué à chaque épreuve.
Ce scénario ne pouvait se prolonger indéfiniment, et dès le troisième épisode
Les Poï Poï au Far West, la série enchaînait avec le grand thème qui serait désormais sa raison d'être :
les conférences historiques.

Ces " conférences " étaient en fait des saynètes interprétées par toute cette troupe de marionnettes foldingotes.
Le conférencier (souvent Sibor ou le professeur Bouchon) tenait plutôt un rôle de présentateur-animateur, qui, tout comme Sacha Guitry dans certains de ses films, introduisait et commentait l'action.
Les Poï Poï entraînaient donc leur public sur les traces des Romains antiques, des chevaliers médiévaux,
des pirates et des corsaires, des cow-boys et des Indiens, du sacré Charlemagne, de Roland et Ganelon, du marin Selkirk… Tout cela dans une ambiance de parodie et d'irrespect historique digne de la Foire aux cancres !

La troupe s'enrichit bientôt d'un nouveau personnage:
le doctoral Anatole-Marie Plantin-Dupaf (Gérard Camoin)
dont la conversation était émaillée de leitmotivs condescendants
(" Absolument, n'est-ce pas, petite chose fragile… ")
et qui, du haut de son érudition en carton-pâte, distillait le plus authentique ridicule.

La grande trouvaille de la série fut de parsemer les dialogues d'extraits de chansons.
Du Scoubidoubidou de Sacha Distel à La groupie du pianiste de Michel Berger
en passant par Elle est épatante, cette petite femme-là chanté par Michel Simon,
la Première surprise-partie de Sheila ou les vieilles chansons mélodramatiques comme Le train fatal,
l'équipe des Poï Poï se retrouvait " ventriloquée " par les plus célèbres interprètes,
dans des play-back de quelques secondes.

Au fil des épisodes, la troupe des Poï Poï explore des territoires de plus en plus insolites.
Dans D'Artagnan, Jules César et les Chinois, Tiburce, rendu fou par un choc violent, se lance dans une évocation pseudo historique tout à fait délirante que Mel Brooks n'aurait pas reniée.
Dans Les faucheurs de pâquerettes, le professeur Bouchon entreprend de raconter les voyages intersidéraux de Sibor et Bora… en remplaçant la fusée par un vieil avion des années 30, budget parcimonieux oblige !
Les conférenciers pédalent allégrement dans la semoule, toute l'équipe cavale dans la dinguerie
et Christophe Izard s'en donne à cœur joie.

Un des sommets de la série fut atteint en 1981 avec Poï Poï Side Story,
une saga en cinq épisodes qui racontait la percée d'un groupe de rock américain,
les Poï Rockets (composé de Sibor, Bora, Poï et Poï Poï Poï).
De Hollywood à Saint-Germain-des-Prés, les quatre rockers tentaient leur chance un peu partout
et s'efforçaient de décrocher un contrat.
Tout au long de leur périple tumultueux, ils rencontraient évidemment des personnages hauts en couleurs,
comme le terrible parrain de la maffia, Dominique Plantini (interprété par Plantin-Dupaf),
l'impresario français Anatole Bouchonnet (le professeur Bouchon), la journaliste Eva Poïa (Poï Poï)
et son photographe italien Gino Burceti (Tiburce)…
Pendant quelques semaines, les Poï Poï délaissaient donc les conférences historiques
pour mordre à pleines quenottes dans la comédie musicale.
La scène du duo Plantin et Tiburce interprétant Itsi bitsi petit bikini vaut à elle seule le détour.

La série a enfin permis de découvrir Sibor et Bora sous un autre jour.
Dans leurs conversations avec Soizic Corn et Patrick Sabatier
sur le plateau des Visiteurs du mercredi ils étaient plutôt sages.
En revanche, dans les Poï-Poï, ils montraient le côté obscur de leur force humoristique.
Bora, transformée en mégère inapprivoisable, multipliait les baffes et était surnommée " la moche " par tous ses compères.
Elle fut la grande vedette de l'un des derniers épisodes,
Si la moche m'était contée, qui institutionnalisait son rôle d'épouvantail.
Les critères de beauté kallatusiens nous sont inconnus,
mais le consensus unanime autour de la mocheté de Bora donne à penser
qu'elle n'avait effectivement rien de la nymphe gracile.
Au lieu de " sois belle et tais-toi ", la devise de Bora était plutôt " sois moche et ne laisse pas parler les autres ".
Chacun fait ce qu'il peut avec ce que Mère Nature (ou papa Christophe) lui a donné.


Auteur: Le chapelier fou © 2005






Bora et Sibor